🕯️ À l’aube du sixième mois

Cinq mois se sont écoulés.

Cinq mois de pluie acide sur le visage, de mots tranchants, de silences plus violents que le vacarme. Un cent-vingt-sixième de ma vie. Quantitativement peu, mais assez pour effacer le passé, hypothéquer l’avenir, dévaster le présent. Cinq mois qui valent toute une vie. Et qui m’ont laissé, en seul héritage, un moment de clarté.

J’ai appris que personne ne vient te sauver. Que la justice ne cherche pas la vérité, mais l’ordre. Que la souffrance ne grandit pas : elle creuse. Et si elle ne te trouve pas mort, elle te trouve changé. Dépouillé, mais lucide.

J’ai appris à choisir. À le faire sans peur, sans besoin de plaire à quiconque. À choisir comme on respire : pour rester en vie. Et en même temps, à laisser toutes les options sur la table. Non par désir de pouvoir, mais par amour de la liberté. La vraie.

J’ai reconnu mes ennemis. Ils ne portent pas d’armures. Ils portent des cravates, des sourires, de bonnes manières. Ils m’ont parlé d’une voix calme, mais sous chaque phrase se cachait un seul message : « Tu es le problème. Accepte-le. » Je ne l’ai pas accepté. Je les ai mis à l’épreuve. Je les ai testés comme on teste les métaux. Beaucoup n’ont pas passé la barre. Et à chacun, j’ai dit la vérité, sans détour.

On ne revient pas en arrière, à partir de là. La déception s’est changée en colère. La colère, en mépris. Et le mépris ne demande pas vengeance. Il demande la distance. Un espace sacré où protéger ce qui reste de moi.

J’ai pleuré. Assez pour remplir un litre d’eau salée. Un litre de larmes vraies, concrètes.

Pas de métaphore. Une rivière invisible versée dans le silence. Et pourtant, je marche encore.

Écrire est devenu une résistance. La parole, une lame et une caresse. Et mes enfants, mon seul centre. Même quand ils ne sont pas là. Même quand ils semblent m’oublier.

Enfin, j’ai compris que notre instinct premier n’est pas la survie. C’est l’immortalité. Celle que nous cherchons dans nos enfants. En eux, nous laissons l’espoir de ne pas disparaître tout à fait. Et quand ils nous sont enlevés, ce n’est pas le cœur qui se brise : c’est l’éternité qui s’interrompt.


Alors qu’il en soit ainsi. J’affronte ce nouveau mois sans espoir, mais avec une certitude inébranlable : je me bats du bon côté de l’histoire.

Je ne sais pas s’il y aura une fin. Je ne sais pas si j’obtiendrai justice, si quelqu’un un jour me demandera pardon, si mes enfants comprendront ce qu’on a fait à leur père.

Mais je sais ceci : je ne me suis pas trahi. Et chaque mot que j’ai écrit, chaque geste que j’ai accompli, je l’ai fait aussi pour eux.

Parce qu’un jour, peut-être lointain, ils pourront regarder en arrière et savoir que leur père ne s’est pas rendu.

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